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silence surprenant, inquiétant après cette terrible canonnade.

Nous rejoignons les batteries. Dans les ténèbres, sans aucun bruit, les unes après les autres, les voitures s’enfoncent comme des fantômes. Sous les roues le champ donne une étrange impression d’ouate. Une clarté nocturne, diffuse et comme flottante, ne permet pas de reconnaître de quoi est fait ce champ où la longue colonne roule, sans un cahot, sans un sursaut de fer, avec seulement parfois un grincement de roues mal huilées.

La campagne sent la mort. Ce n’est pas une obsession. Un incendie, très loin, n’est qu’un point rouge fixe. Les massives futaies d’un parc voisin donnent d’inexprimables inquiétudes.

La roue de l’avant-train passe sur quelque chose d’élastique et de mou, qui cède sous le poids. Je suis sûr que c’est un mort. Je regarde en arrière ; je ne distingue rien. Sur ce champ d’ouate, au milieu de cette nuit presque claire et pourtant sans lune, un grand frisson me court dans les moelles.

On s’arrête aux abords d’un village. Ce doit être Tracy-le-Mont. Le train régimentaire nous attend. On appelle aux distributions. Les hommes, dans leurs manteaux, font un cercle noir autour du fourgon qu’éclaire une seule lanterne. Je re-