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Le vent s’est levé. La pluie cesse. Le groupe s’engage sur la route de Compiègne qui longe la rivière. Mais nous n’avons pas fait une lieue, qu’on nous arrête en colonne sur le chemin. On cuisine, mais l’eau manque ; vainement je cherche une source, un puits. On se résout à puiser de l’eau à l’Aisne pour faire la soupe. Sur l’autre rive, un Allemand, couché dans les roseaux, trempe jusqu’au ventre dans le courant. On fera bouillir l’eau, voilà tout… Il faut bien manger !

À la nuit, un cavalier apporte des ordres. On part au trot.

Le long d’un grand mur, les spahis, sous leurs burnous, font des taches rouges dans le soir. Leurs petits chevaux, près d’eux, se tiennent immobiles sous le harnachement compliqué. Un Arabe, adossé à un pommier, montre un beau masque régulier de statue. Sous la pourpre du capuchon de laine, son visage brun exprime cette calme tristesse, à la fois si navrante et si noble, où languissent toujours, loin de leurs sables, les hommes de cette race. Ses grands yeux noirs indifférents, posés au loin et fixes, ont un regard intérieur. Il semble avoir froid. Les artilleurs lui sourient et l’interpellent.

— Bonjour, vieux Sidi !

Mais lui, sans bouger, ne répond que d’un clignement d’yeux condescendant.