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fantassins qui les accompagnent, craignant que ce spectacle de mort donne trop de joie à ces ennemis, leur ont bandé les yeux. Ils les conduisent par la main à travers les cadavres. Mais les Allemands ont reconnu l’odeur du sang. Un pli d’inquiétude barre leur front. Ils reniflent l’air longuement.


Lundi 14 septembre.


À Attichy, de bonnes granges bien closes, où le foin était profond, nous ont abrités pour la nuit. Mais notre sommeil a été troublé de cauchemars atroces. J’ai roulé parmi des cadavres mutilés, dans des fleuves de sang. Ce matin il pleut.

Un paysan, à moustaches blanches tombantes, nous apporte dans des seaux de la bière et du vin. Il habite une maison isolée que l’on voit bien d’ici, à flanc de coteau, dans les taillis. Pendant l’occupation allemande, il avait quitté sa demeure, trop solitaire, pour venir se loger au bourg. Avant-hier, les ennemis partis, il retourna chez lui, accompagné d’un fantassin. Il allait devant, quand il aperçut dans le vestibule, par la porte enfoncée, un ennemi casqué qui le mit en joue. Il fit un bond de côté, découvrant le soldat français. Aussitôt l’Allemand lâcha son fusil et