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Tout de suite, il faut retourner là-bas. On a besoin de nous. Dès que je quitte le plein air et le soleil pour rentrer dans les bois, l’appréhension de ce que je vais revoir m’étreint. Et puis, les ombres de la forêt, qui s’épaississent avec l’heure, contribuent à me serrer le cœur.

— Allons !…

Deux chevaux sellés, dont les blessures saignent, d’instinct s’éloignent du charnier. À petits pas, ils descendent le long du chemin, vers le soleil. Les chevaux morts ont été dételés, traînés sur les bas côtés de la route. Mais deux artilleurs gisent encore au milieu de la chaussée. Seulement, par habitude, par piété pour les morts, quelqu’un a brisé deux branchettes et leur a couvert le visage de feuilles.

Dans les ornières de la route, les ruisseaux de sang se sont figés. L’odeur chaude, que maintiennent les feuillages en voûte, flotte toujours plus écœurante, plus angoissante. Dans les efforts qu’on a faits pour dételer les chevaux et dégager la chaussée, les intestins se sont dévidés. À présent, ils traînent alentour, souillés de poussière, jusqu’à plusieurs mètres des corps ouverts, vides d’entrailles.

Deux prisonniers, deux grands hommes que leurs longs manteaux gris et leurs casques à pointe grandissent encore, descendent du plateau. Les