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— Marchez au pas, les gars !

Malgré nos efforts nous ne pouvons éviter les secousses qui le martyrisent, et il continue de murmurer de plus en plus bas :

— Au pas, au pas… au pas…

Les lèvres répètent silencieusement : « au pas… » jusqu’à ce qu’un cahot plus fort lui arrache un cri.

Sur la route, devant la ferme-ambulance, des majors ont établi, à l’ombre, une table d’opération volante. On aligne les blessés au bord du fossé. Un gros médecin à quatre galons, court çà et là et gueule.

Portés sur des brancards ou à pied, seuls ou soutenus par des camarades, nos blessés arrivent à l’ambulance. Le menton de l’un d’eux n’est qu’une bouillie sanglante. Un de ses yeux est clos et l’autre grand ouvert.

Le cheval du vétérinaire, traversé par un éclat, a suivi jusqu’ici les blessés. Mais, dès qu’il s’arrête, il s’abat sur les genoux au bord du chemin. Il y a dans les yeux de cette bête une douleur humaine. Elle me tend le front : je lui tire un coup de revolver dans l’oreille. Avec ce bruit pesant que fait un coup de hache au cœur d’un arbre, le cheval tombe sur le flanc et, du haut du talus où passe la route, roule deux fois sur lui-même jusque dans la prairie en contre-bas.