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pied, presque détaché, pend, et qui hurle de douleur. Au bas de la côte, à l’orée du bois, nous savons qu’il y a un poste de secours dans une ferme.

Nous partons, fléchissant les genoux pour éviter les secousses ; mais il faut franchir des membres de chevaux épars, enjamber des morts si défigurés que je ne les reconnais pas.

Un blessé me saisit la jambe au passage. Il soulève vers moi un visage exsangue que le sang, qui coule de l’oreille, encadre d’un collier de supplicié. Ses yeux implorent. Il murmure avec une voix de profonde supplication :

— Oh ! mon vieux, ne me laisse pas là !

Mais nous ne pouvons emporter deux hommes à la fois. Je me penche un peu :

— Les copains viennent tout de suite avec l’autre brancard. Ils vont te prendre. Allons, lâche mon pied…

Nous nous éloignons du charnier. Nous respirons…

La toile serrée du brancard retient le sang du blessé. Son pied trempe dans une mare rouge. Il souffre comme un crucifié, tord ses bras hors du brancard et gémit.

— Oh ! ma patte !… vous me secouez. Oh ! comme vous me secouez !

Il dit encore :