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J’ai couru dégager l’homme qui suffoquait enseveli sous l’attelage de la forge. Il montre un visage effroyablement convulsé, complètement rouge, les cheveux et la barbe agglutinés par le sang. Il roule des yeux blancs d’asphyxié. Un cheval, dans son agonie, menace d’achever un canonnier blessé aux reins, qui se traîne sur les poignets. Vite, je tue l’animal d’un coup de revolver. C’est alors seulement que j’aperçois, étendu entre les deux chevaux, mon ami M…, très pâle, les yeux clos. Je cours à lui, je passe mon bras sous son corps pour le soulever… Tout mon sang s’arrête subitement de couler, mon cœur de battre… Mon bras s’est enfoncé jusqu’au coude dans le dos ouvert de mon ami.

Je me redresse. Un instant, le charnier tourne autour de moi. Est-ce que je ne vais pas défaillir d’horreur ?… Je porte ma main à mon front ; elle est rouge… Je me barbouille le visage de sang. Pour ne pas tomber, je dois m’adosser à la roue de la forge.

Un infirmier a réussi à sortir de la voiture d’ambulance, hachée elle aussi par la mitraille, deux brancards intacts. Au bord de la route, le major, très ému encore, égratigné lui-même par l’explosion, fait des pansements sommaires. À trois, nous hissons sur un brancard un grand servant blond à moustaches de Gaulois, dont le