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ruisseau dans les ornières de chaque côté du chemin. Une puanteur d’abattoir, fade à vomir, une sorte de tiédeur, une odeur de chair fumante, de vie ruisselante, une odeur de cheval, de viscères et de digestion prend à la gorge, enivre, écœure.

Un homme, dont le buste est enseveli sous l’attelage de la forge, a réussi à passer un bras à travers une masse de boyaux répandus. Mais les viscères lui ont garrotté le poignet. Il les secoue furieusement, projetant des gerbes de sang. Des chevaux qui crèvent, pètent, lâchent du crottin, grattent le sol de leurs jambes raidies. Leurs ferrures crissent sur les cailloux. Dans leur agonie, ils tendent les traits ; des chaînes craquent. La voiture à laquelle ils sont attelés avance un peu, puis recule.

Un fantassin, mort, tend sa poitrine béante. Ses yeux grands ouverts ont un regard droit, trouble, un regard bleu qui m’entre dans la poitrine. Un artilleur a été cloué au talus. Il est resté là, presque debout, le ventre ouvert ; sur ses bottes, un cheval blessé, immobile, saigne des naseaux.

Lorsque, par instants, les râles et les plaintes s’interrompent, on perçoit le bruit du sang qui s’écoule flot à flot, le borborygme des intestins qui s’épanchent blanchâtres et roses et qui se tordent sur la route.