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Un conducteur arrive sans képi, la face sanglante :

— Venez… là-bas, c’est tombé… c’est tombé sur la route. Tout est bousillé, les chevaux sont en travers… Ah ! bon Dieu !

— Tu es blessé ?

— Où ? demande-t-il.

— Ta joue…

— Rien, c’est un cheval, mon sous-verge… Venez.

Des obus sifflent, passent. On court. Brusquement, au détour du chemin, une vision atroce m’immobilise une seconde, sans souffle.

Sous le soleil qui, à travers les branches, marbre le fond clair de la chaussée, il y a un amas informe d’hommes et de chevaux fauchés. L’attelage entier de la forge et celui du chariot de batterie se sont effondrés en monceaux mouvants de chairs saignantes. Dessous, il y a des hommes. Deux servants sont étendus la face contre terre, au milieu de la route. D’autres se traînent sur les mains parmi les chevaux de selle abattus. Dans les fossés, des blessés bougent.

De ce charnier, montent de longs gémissements, des plaintes étranges semblables aux cris angoissants de certaines bêtes de nuit, un sourd « ôôoh !… ôôôh ! » interminable, modulé comme un chant de sauvage. Du sang coule en