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Les obusiers ennemis tirent toujours sur la campagne, au hasard et sans insistance. Les Allemands sont terriblement talonnés. Dans les villages, on nous apprend qu’il n’y a pas deux heures des traînards passaient encore. Il paraît qu’hier la retraite de l’ennemi tournait à la déroute. Fantassins débandés, sans armes, artilleurs, cavaliers démontés, fuyaient pêle-mêle, le plus vite qu’ils pouvaient, poursuivis par le feu des 75 et harcelés par nos avant-gardes.

À Vic-sur-Aisne, en attendant que le passage du pont de bateaux soit libre, j’entre dans une jolie maison bourgeoise dont les Allemands ont laissé, en partant, portes et fenêtres grandes ouvertes. Toutes les armoires ont été défoncées et pillées. Des chemises et des culottes de femme, des linges intimes traînent dans l’escalier. Sur la table de la salle à manger, un repas est servi. Mais les chaises renversées accusent la précipitation que les hôtes ont mise à fuir. J’ai faim. Sans arrière-pensée je m’attable. Le déjeuner est bon, quoique froid.

Lorsque enfin les premières voitures de la colonne s’engagent sur le pont, j’apprends, avant de quitter Vic, que j’ai mangé le repas préparé pour le grand-duc de Mecklembourg-Schwerin, interrompu par l’arrivée des avant-gardes françaises.

Nous traversons l’Aisne sans encombre. Comment l’ennemi nous laisse-t-il ainsi franchir la