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s’est moulée en creux. Des vers y grouillent dans le sang corrompu.

Un des sapeurs qui, à grandes pelletées, couvrent de terre la charogne puante, se redresse :

— Ah ! s’il pue, le cochon ! nous dit-il. Sale métier ! Je ne me mettrai pas croque-mort dans le civil. Les chevaux, ça sent encore plus que les hommes. On va finir par attraper la peste !

— Quand j’ai voulu le traîner, déclare un autre, le sabot m’est resté dans la main.

Et, du pied, il désigne le sabot ferré qui traîne à terre comme un caillou.

Ailleurs, sur un champ fraîchement hersé, et que seule a foulé la galopade de deux chevaux, gisent deux lances, dont l’une est brisée, un sabre de cavalerie légère, un chapska de uhlan et un bidon. On imagine le combat singulier qui s’est livré ici.


Le temps s’embrume. La campagne, où traînent toujours çà et là des effets, des armes et des cadavres, monotone et terne sous le ciel gris, nous enveloppe d’une tristesse qui va jusqu’à l’angoisse. Il faut se répéter : « C’est la victoire, c’est la victoire ! » pour sentir encore la joie, pourtant si profonde, de savoir la Patrie sauvée.