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peau de vache, de sacoches, de selles et de chevaux morts.

La route des Ruettes, le soir de la bataille de Virton, était pareille à celle-ci. Je me disais alors, un peu surpris, dans ma lassitude : « J’assiste à une défaite française. » Et aujourd’hui je me trouve étonné d’avoir pris part à une victoire, dont voici les preuves, une victoire qui dégage Paris, qui sauve la France, qui nous ouvre peut-être toute une ère nouvelle. À contempler ce calvaire de l’armée allemande, nous nous disons que l’ennemi va quitter la France aussi vite qu’il y est entré.

Sur les verdures d’un grand champ plat, la terre remuée décrit une ligne jaune que jalonnent des fusils plantés la crosse en l’air. Des centaines d’hommes, des milliers peut-être, ont été ensevelis là, côte à côte. Le sol sec, craquelé, fissuré, laisse échapper toutes les pestilences de leur décomposition, que le vent nous apporte. À l’approche des taillis, épars sur la campagne, qui recèlent d’autres cadavres, la même odeur prend à la gorge. Malgré soi, sans cesse, on la flaire avec des inquiétudes pareilles à celles qu’on voit aux chiens lorsqu’on dit qu’ils sentent la mort.

Des sapeurs terrassent. Au fond du trou, qu’ils viennent d’ouvrir, on découvre encore une croupe alezane marquée « Uh. 3 (3e Uhlans) ». Sur le labour, au bord de la fosse, une forme chevaline