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les champs où, hier soir, nous avons arrêté l’ennemi. Nous faisons halte, attendant sans doute de nouveaux ordres.

La campagne est immobile. Mais, entre la route de Paris et la ligne du chemin de fer, des cadavres vêtus de gris, aussi loin qu’on peut voir, parsèment les betteraves. Au bord de grands champs de maïs, six Allemands sont tombés en monceau. Le dernier atteint s’est abattu à la renverse sur les autres. Ses jambes raides, que soulève une croupe humaine, se dressent vers le ciel. Son cou, sous le poids du corps, s’est plié : le menton du mort touche sa poitrine. Les yeux grands ouverts, la bouche tordue dans une horrible grimace d’agonie, ce Prussien casqué semble faire effort pour regarder son nombril. Des autres cadavres du tas, on ne voit que des épaules, des nuques, des talons de bottes. Seulement, un blessé, à moitié enseveli sous les morts, a dû agoniser longtemps. Scalpé par un éclat d’obus, qui a arraché l’aigle impérial de son casque, l’homme a tenté de se libérer de l’effroyable fardeau qui lui écrase les jambes et les reins. Il n’a pu. Son buste seul émerge du monceau. Arc-bouté sur un coude, la bouche grande ouverte et hurlante, il a expiré, en tendant son poing noueux, énorme, à ces collines que nous venons de quitter, et d’où lui est venue la mort. Les chairs, déjà verdâtres, de sa face se