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gonflés comme des outres, et qui menacent le ciel de leurs pattes raides aux ferrures luisantes. Par une plaie, au flanc d’une grande jument alezane, les vers se répandent dans l’herbe. On en voit grouiller dans l’anus et s’écrouler à terre avec une sérosité putride. Il en sort des naseaux, de la bouche et d’un trou fait par une balle de revolver près de l’oreille.

— Au trot !

La batterie se perd dans le nuage de poussière qu’elle soulève. Nous commençons à croiser des blessés, des centaines de blessés, des lignards, des chasseurs alpins, des marsouins blancs de poussière, avec des pansements rouges. Ils s’entr’aident. La plupart marchent en petites troupes. Beaucoup s’arrêtent. Il fait chaud. J’en vois plusieurs autour d’un pommier qui abattent des fruits. Ils ont soif, les pommes les rafraîchissent un peu.

Pendant que le commandant reçoit les ordres d’un officier d’ordonnance, nous avons fait halte. Je questionne un marsouin blessé à la tête :

— Eh bien ! comment ça marche-t-il, là-bas ?

— Il en tombe !

On ne sait pas s’il s’agit de balles, d’obus ou d’hommes. Mais on voit bien, à l’expression des visages crispés et hagards, que la lutte est dure.

— Il y a longtemps qu’on se bat ici ?

— Oui.