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Deux jeunes filles, la sœur et la fiancée d’un de mes camarades, arrivent comme la batterie démarre. Un moment, elles courent près des chevaux, rouges, haletantes. Elles parlent très vite, toutes deux ensemble. Lorsqu’elles se sentent à bout de souffle, l’une après l’autre, elles tendent la main à l’artilleur qui se penche sur l’encolure de son cheval pour embrasser leurs doigts.


Nous traversons la banlieue, puis, par la grande route de Soissons, nous abordons la plaine de Brie. Nous allons au canon. Nous sentons bien que nous vivons les heures les plus lourdes, les plus graves de tout un siècle, de toute une histoire peut-être.

Nous nous laisserions angoisser par la tristesse de ce paysage dont seuls, de loin en loin, une tranchée vide au bord de laquelle traîne de la paille, et des peupliers étiques, en lignes ou en bouquets, rompent la monotonie, si toujours nous ne sentions derrière nous Paris, Paris qui vit.

Hutin me dit :

— S’il faut crever quelque part, j’aime mieux crever ici que là-bas, dans la Meuse.

— Pourquoi ?

— Est-ce que je sais pourquoi !


Le soir vient : voilà bien dix heures que la batterie roule, sans arrêt. Très loin, derrière nous,