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sous des tonnelles de vignes-vierges et de viornes, parmi les mouchetures du soleil entre les feuilles, éclate le bariolage des uniformes d’officiers : pharmaciens, majors, officiers de troupes de toutes armes, officiers de l’intendance, officiers du Trésor vêtus de vert et qui ressemblent à des forestiers.

Depuis quinze jours, nous n’avons pas mangé dans de la faïence ni bu dans un verre. Ce repas aurait pour nous d’extraordinaires délices, sans la pensée de la catastrophe qui nous étrangle tous trois.


À la nuit tombante, nous embarquons. Des lanternes à pétrole éclairent de loin en loin le grand quai où traîne de la paille. Les chevaux, la tête basse, abrutis de lassitude, se laissent disposer dans les wagons sans résistance. Les servants achèvent d’établir les pièces sur les trucs. Vite, tout s’immobilise. Les hommes, trente par fourgon, s’installent pour la nuit, les uns étendus sur les bancs, les autres dessous. Les manteaux servent d’oreillers ; on a jeté les armes dans un coin. Et, comme l’occident s’éteint tout à fait, le long du quai morne où rien ne bouge plus, lentement le train démarre.