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affaiblie encore, comme les hommes, par une incessante diarrhée.

Toute la matinée nous cheminons. Nous traversons Givry-en-Argonne, Sommeilles, Nettancourt, Brabant. Les bornes de la route portent « Meuse », puis « Marne ». La poussière voile à demi les pentes graves et lentes de ce beau pays, les masses somptueuses de la forêt d’Argonne qui se profilent à l’est.

Vers le milieu du jour, nous atteignons Revigny-aux-Vaches, une jolie ville blanche au milieu des prairies. Au bord de l’Ornain, près de la gare, nous formons le parc. Comme nous menons les chevaux boire à la rivière, un homme vêtu en ouvrier, assis au bord de la route, sur le talus, m’interpelle :

— D’où venez-vous, les artilleurs ?

— Des Hauts-de-Meuse, du côté de Dun et de Stenay. Nous avons été remplacés là-bas par des troupes fraîches.

— Remplacés ?

— Oui, remplacés. On dit par le 6e corps.

— Quelle blague !… Vous avez foutu le camp ! Oui… tout simplement… Savez-vous où sont les Prussiens ? fait-il en se dressant.

Une angoisse me saisit. Le malheur est écrit sur la figure osseuse et ravagée de cet homme qui, assis, ne m’était point apparu si grand et si maigre.