Page:Lintier - Ma pièce, 1917.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’épaule, au bout d’un bâton, un grand panier d’osier couvert d’une serviette blanche. Sa carnassière, qui lui bat le flanc, est bourrée à rompre. Dans l’étroit chemin forestier, une jeune femme le suit. D’une main elle mène une grosse vache rousse, de l’autre elle tient en laisse, avec un mouchoir noué au collier, un chien à grands poils. Une petite fille se cramponne à ses jupes et se fait traîner. Derrière, une vieille toute voûtée, qui s’appuie sur une canne pour marcher, plie sous une hotte de vendangeur pleine de lainages.

Où vont-ils ? Beaucoup ne le savent pas. Ils nous le disent. Ils vont devant eux, en France, dans les pays où les Allemands n’iront pas.

— Pourquoi faire rester ? déclare un vieillard. Aussi bien, ils brûlent tout ! Pour être sur la paille sans maison ici, j’aime mieux être sur la paille, libre. Et puis, j’ai ma belle-fille, la femme de mon fils qui est artilleur comme vous. Elle est enceinte ; elle en est à son septième mois. Quand on a commencé à entendre le canon hier, voilà que les douleurs l’ont prise. J’ai cru qu’elle allait accoucher. Ça s’est passé. Mais j’ai dit : « Il faut partir tout de suite. Ça vaut mieux. » Avec des salauds pareils, qui violent et éventrent les femmes, ils n’auraient peut-être pas respecté son état… La nuit dernière nous avons trouvé une cahute de cantonnier pour coucher, mais la nuit prochaine ?…