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nos batteries peuvent prendre le trot. À travers les campagnes et les vallées, jusqu’à l’horizon, une ligne de poussière, qui souille les verdures, indique la grande route de Varennes que suit la division.

Il est midi. Je pensais que nous avions parcouru quatre ou cinq lieues depuis l’aube. Et voilà qu’on entend le canon… pas très loin, vers le nord-est.

Près du village d’Apremont, à la lisière de la forêt d’Argonne, où viennent de pénétrer les premières voitures de notre colonne, trois obus éclatent.

Alors ?… Alors, l’ennemi nous poursuit ? Personne ne le contient ? Nous n’avons pas été remplacés ? C’est la défaite… l’invasion ?… La France grande ouverte ?…

Sur la route, de front avec notre colonne, cheminent des théories de charrettes. Toute la population fuit devant l’ennemi : vieilles femmes, jeunes filles, mères avec des nourrissons, avec des essaims d’enfants. Ces malheureux sauvent ce qu’ils ont de plus précieux, leur existence ; les femmes et les filles, leur honneur, un peu d’argent, souvent une bête familière : un chien, un chat, un oiseau dans une cage.

Les plus pauvres vont à pied. Une famille s’éloigne par les sentiers des bois. Ils sont quatre : l’homme, un vieux, au masque tragique, porte sur