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un groupe d’artillerie engagé sur des hauteurs au nord de Landres.

À peine installés, un aéroplane passe, un allemand. On n’en voit jamais d’autres. Tout de suite, des obus s’abattent autour de nous. Et toujours, comme par miracle, la batterie demeure indemne au milieu des éclatements, dans la fumée de la mélinite. Mais cela ne peut durer.


Ah ! si j’échappe à l’hécatombe, comme je saurai vivre ! Je ne pensais pas qu’il y eût une joie à respirer, à ouvrir les yeux sur la lumière, à se laisser pénétrer par elle, à avoir chaud, à avoir froid, à souffrir même. Je croyais que certaines heures seulement avaient du prix. Je laissais passer les autres. Si je vois la fin de cette guerre, je saurai les arrêter toutes, sentir passer toutes les secondes de vie, comme une eau délicieuse et fraîche qu’on sent couler entre ses doigts. Il me semble que je m’arrêterai à toute heure, interrompant une phrase ou suspendant un geste, pour me crier à moi-même : Je vis, je vis !

Et dire que tout à l’heure, peut-être, je ne serai qu’une chair informe et sanglante au bord d’un trou d’obus !


Rien à faire sous la mitraille. Le capitaine surveille la plaine d’une exaspérante immobilité.