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Le mouvement de tir nous électrise. Dans le vacarme que fait la batterie en pleine action, il faut hurler les commandements. On n’entend plus les coups de l’ennemi ; ils se perdent dans le vacarme que nous faisons ; on oublie la mitraille qui pourtant ne cesse de tomber.

Brusquement le feu des obusiers s’égrène, s’éteint.

— Ils prennent ! dit Hutin penché sur les appareils de pointage.

— Feu ! répond le chef de pièce.

— Prêt !

— Feu… ! Feu… !

Sur le plateau, derrière nous, des compagnies battent en retraite en ordre déployé.


Le soir vient. Nous recevons l’ordre de nous retirer aussi. On dirait que la terre et les bois absorbent ce qui reste de lumière. Les mouvements de l’infanterie au loin se perdent dans les ondulations du sol. Les hommes s’incorporent aux champs, se dissolvent, disparaissent.

Près d’un entonnoir sombre, un tas rouge. Un fantassin est étendu sur le dos. Un éclat d’obus lui a tranché la jambe. Par le moignon rougeâtre déchiqueté, où des feuilles de luzerne et de la terre se sont agglutinées dans le sang, l’homme s’est vidé. La souffrance a rejeté sa tête en arrière.