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le grand cheminement monotone de l’artillerie, dans l’ombre, à travers les bois.

Une clarté nocturne, tombée du ciel où les étoiles une à une s’évanouissent dans une brume montante, baigne les masses de la forêt que, du haut des côtes, on voit moutonner vaguement à l’infini. Mais l’obscurité des sous-bois est absolue et la route semblerait une tranchée creusée au sein même des terres, si parfois on ne voyait luire étrangement, dans l’obscurité des taillis, les tisons encore vifs d’un bivouac de fantassins, et s’il ne nous venait de ces verdures ténébreuses des parfums humides de menthe, et d’on ne sait quelles herbes, mêlés à des odeurs lascives de fauve. Une fraîcheur délicieuse, qu’on respire à pleins poumons et qui fait frisonner, nous enveloppe.

Millon, assis près de moi sur le coffre, me conte le roman de sa vie, une pauvre histoire simple et triste : lui, avec ses vingt ans, sa frimousse de fille et ses yeux à la fois gouailleurs et enfantins, soutien de famille depuis longtemps déjà, et maintenant, sa mère, « sa vieille », comme il dit avec un accent d’amour profond, restée seule à Paris avec un autre enfant, très jeune encore, d’une faiblesse et d’une nervosité toujours inquiétantes ; des malheurs passés qu’il n’oublie pas ; les inquiétudes qu’on traverse à présent là-bas ; des soucis matériels.