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d’une fuite publique. Pour fuir ainsi, il faudrait une volonté, une sorte de bravoure. Le fantassin, lui, se trouve le plus souvent isolé au combat. Sous la mitraille, un homme couché à quatre mètres d’un autre est seul. Le souci individuel absorbe toutes les facultés. Il peut alors succomber à la tentation de s’arrêter, de se dissimuler, de s’écarter hypocritement, puis de fuir. Et, le soir, ayant retrouvé sa compagnie, il pourra déclarer qu’il a perdu son escouade, et qu’il a combattu ailleurs. Il se peut qu’on ne le croie pas et que, d’avance, il le sache. Du moins, il n’aura pas subi la honte foudroyante de fuir aux yeux de tous.

Rester sous le feu, c’est déjà beaucoup. Mais garder son sang-froid dans l’enfer de la bataille moderne, c’est autre chose. On a peur d’abord, on sue, on tremble. C’est irrésistible. Il semble qu’on n’évitera pas la mort. Le danger est un inconnu. L’imagination l’amplifie. On ne le raisonne pas. L’éclatement de l’obus, sa fumée âcre, autant que la mitraille, participent à l’effroi du premier moment. Pourtant, ni l’éclair de la mélinite, ni le bruit, ni la fumée ne sont des dangers ; seulement, ils accompagnent le danger, et d’abord on les subit en bloc ; par la suite, on discerne. La fumée est inoffensive ; le sifflement de l’obus sert à prévoir sa direction. On ne tend plus le dos vainement ; on ne s’abrite qu’à bon escient. Le danger ne