Page:Lintier - Ma pièce, 1917.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les mêmes dangers, la bête humaine se cabre moins. Les nerfs ne trépident plus. L’effort conscient et continu pour atteindre à la maîtrise de soi agit à la longue. C’est toute la bravoure militaire. On ne naît pas brave : on le devient. La résistance de l’instinct à vaincre est seulement plus ou moins rude. Et puis, il faut bien vivre, en campagne comme ailleurs ; il faut s’accommoder de cette existence nouvelle, si précaire, si amère qu’elle soit. Or, ce qui la trouble avant tout, ce qui la rend intolérable, c’est la peur, la peur strangulatrice. Il faut la vaincre, et on la vainc.

Avec le besoin de vivre le moins mal qu’on peut, le sentiment du devoir et le souci de l’opinion, en un mot : l’honneur, sont les plus grands éducateurs du soldat au feu. Ce n’est point une découverte, c’est simplement une constatation personnelle.

D’ailleurs, l’éducation du courage nous est, je l’avoue, bien plus facile qu’aux fantassins, les plus déshérités des combattants. Un canonnier, sous le feu, vraiment ne peut fuir ; toute la batterie le verrait ; son déshonneur serait patent, irréparable. Or, la peur, dans ses excès, me semble bien être surtout une abolition de la volonté. L’homme incapable de se dominer pour faire face dignement au danger est aussi incapable, le plus souvent, de se résoudre à la honte épouvantable