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ailleurs. À cette heure, les obus s’abattent sur la côte qu’elle occupait, de monstrueux obus qui, à plusieurs kilomètres à la ronde, ébranlent le sol et ternissent les verdures de leurs grandes fumées sales.

— Ce doivent être les fameux obus de 22, nous dit le capitaine.


Pour nous, rien à faire. Vers Stenay, l’horizon reste immobile et désert. Pendant des heures, les gros obus continuent à tomber par trois, ponctuant de trous noirs des prairies vertes où il n’y a plus personne. Nous sommes certainement à portée de ces pièces lourdes et rien ne nous dit que, tout à l’heure, leur tir, en s’allongeant, ne nous atteindra pas. Nous n’y pensons même pas.

J’admire quelle merveilleuse faculté d’adaptation fait le fond de la nature humaine. On s’accoutume au danger comme aux privations les plus cruelles, comme à l’incertitude du lendemain.

Je me demandais, avant la guerre, comment les vieillards, qui atteignent les limites extrêmes de l’existence, peuvent vivre en repos devant l’imminence de la mort. À présent je comprends. Pour nous-mêmes le risque de mort est devenu un élément de l’existence quotidienne. On compte avec lui, il n’étonne plus et il effraye moins. Et puis, chaque jour nous entraîne au courage. À connaître