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Quelques-uns se plaignent de ne pas avoir mangé depuis deux jours. Un homme du 101e, un grand garçon hâve, aux yeux fiévreux, s’est arrêté près de nous. Il caresse la volée du canon.

— Tiens, dit-il à Hutin, tu devrais bien me tirer un obus dans le ventre. Au moins ça serait fini !

— Tu n’as pas honte, lui répond le maître pointeur.

L’homme fait de la main un geste vague, hausse les épaules et s’en va en traînant la jambe.

L’infanterie passée, on nous fait prendre position sur le plateau, à la lisière des bois derrière lesquels se retirent les régiments de ligne.

J’ai entendu le commandant répéter au capitaine l’ordre reçu : empêcher l’ennemi de prendre pied sur le plateau. Et on lui a dit : Il n’y a plus de Français devant vous.

— Alors, c’est encore nous qui protégeons la retraite ! Sale métier, déclare Millon, le tireur, un brave petit Parisien, au doux visage de fille. Ici on risque aussi bien les coups de fusil et les mitrailleuses que les obus. Il y a là-bas, surtout, au bord du plateau, vers le peuplier en pinceau, un sale petit bois d’où les pruneaux pourraient bien ne pas tarder à venir. Ils vont monter là dedans des mitrailleuses sans qu’on puisse les voir, plutôt que de s’amuser à déboucher sur le ras… Alors,