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Samedi 29 août.


À deux heures du matin, réveil. Il faut partir tout de suite. On dit que les Allemands ont passé la Meuse. Pourtant notre artillerie devait avoir repéré le cours de la rivière. Comment n’a-t-on pas entendu le canon ? Je ne comprends pas.

Dans la nuit, la route apparaît jaune, au milieu des prairies bleues. Je reconnais au passage les ifs d’un cimetière où, hier, on enterrait des morts dans une allée.

Arrêtés en colonne sur la côte raide de Tailly, nous attendons des ordres. Le jour monte de derrière les collines, envahit tout le ciel.

Un à un les régiments de la 7e division surgissent du ravin et nous dépassent. Les hommes semblent harassés. Leurs yeux sont caves ; les visages les plus jeunes, jaunis, ternis de misère, sont égratignés de grandes rides ; les coins des lèvres tombent. Penchés en avant sous l’écrasement des sacs, dans l’attitude du Christ sous sa croix, les fantassins gravissent cette côte comme un calvaire. Tous les cent mètres ils s’arrêtent pour remonter leur fardeau d’un coup de rein. Il y en a qui tiennent leur fusil à bout de bras, comme un balancier qui les aide à marcher.