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La batterie fait halte près des dernières maisons du bourg. On prépare le café. Un grand diable de biffin vient nous demander un oignon. Nous l’interrogeons :

— Alors, ils n’ont pas pu passer la Meuse ?

— Voilà ! ils l’ont passée… une brigade… ; seulement l’artillerie a coupé les ponts derrière… Alors, on a rentré dedans à la baïonnette. Ah ! vous ne connaissez pas ça, vous autres, la charge ! C’est terrible… Je ne connais rien de pareil… S’il y a un enfer, on doit s’y battre tout le temps à la baïonnette… Sans blague. On part… on gueule… il y en a qui tombent… des tas qui tombent… moins il en reste, plus il faut gueuler haut pour que ça continue à marcher. Et puis, quand on arrive dessus, on est comme fou… On tape, on tape… Mais, la première fois qu’on sent la baïonnette rentrer dans un ventre, ça fait quelque chose… C’est mou, il n’y a qu’à enfoncer… Seulement, c’est pour la retirer après !… J’y allais si peu fort, que j’en ai piqué un par terre, un gros pansu à barbe rouge. Je ne pouvais plus ravoir ma baïonnette. J’ai été obligé de lui mettre le pied sur le ventre. Je le sentais remuer sous mon pied. Tiens, regarde ça…

Il a tiré sa baïonnette. Elle est rouge jusqu’au quillon. En s’en allant, il arrache une poignée d’herbe pour la nettoyer.