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perdus de voix ; cette vie invisible en mouvement émet des fluides qui traversent l’air nocturne par bouffées.

Au loin, on entend le canon : nous marchons au canon.

Bientôt les premières clartés du jour massent les collines boisées qui, entre la Meuse et nous, dressent leurs profils riches et graves. Un village au fond d’un ravin, quelques maisons, un clocher, un cimetière : c’est Tailly.

À l’immobilité froide de l’aurore commence à succéder l’infinie vibration de la lumière sur la campagne et sur la forêt. Par le fond d’une large brèche, rompant l’unité des collines qui bordent la Meuse, une route conduit à la rivière.


Quand nous arrivons à Beauclair, dans la vallée de la Meuse, l’action semble terminée.

Devant l’église, sur la place hérissée de faisceaux, l’infanterie qui vient de combattre se repose. Au milieu des armes, les soldats, la plupart pâles, quelques-uns très rouges, se sont couchés sur la terre nue, au soleil. Pas un ne bouge. Les masques durcis des dormeurs expriment une lassitude tragique. Les capotes et les chemises ouvertes découvrent les poitrines. Tous les hommes sont boueux. Les pantalons ont des emplâtres de terre aux genoux.