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par rafales. Très loin au-dessus des bois, on aperçoit des éclatements de shrapnells. La pluie cesse. Le ciel, sombre tout à l’heure, s’éclaircit, prend une teinte uniformément blanche.

Au bord du chemin, dans un pré, des paysans qui fuient l’invasion ont établi leur campement d’une nuit. Une grande bâche verte abrite leur voiture et forme tente. En avant, les brancards pointent. Un vieillard, deux femmes, toutes deux enceintes, avec une demi-douzaine d’enfants autour de leurs jupes, nous regardent passer.

La route monte ; la colonne prend le pas. J’entends une des femmes dire au vieillard en le poussant du coude :

— Vas-y, père !

Le vieux hésite. Elle insiste :

— Il faut y aller !

Le bonhomme se décide, vient jusqu’à nous. Il se dandine, rougit et murmure :

— Ah non ! C’est pas à mon âge qu’on apprend à demander ça.

Il va s’éloigner ; on l’interroge :

— Demander quoi donc, mon vieux ?

— Si vous n’auriez pas un peu de pain en trop ? C’est pour les gosses.

— Mais si, mais si ! Jamais on ne mange tout.

La vérité, c’est que rarement nous avons assez de pain. Il faut éplucher les boules et, lorsqu’on a