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teint avant nous la rivière ? Trouverons-nous seulement un pont ? Les nécessités de la défense de l’armée peuvent exiger qu’on nous sacrifie.

Les heures passent. Les brumes semblent se former au flanc des collines qui regardent la Meuse. De là, le vent d’ouest les chasse en nuées traînantes qui franchissent les crêtes, nous frôlent, nous enveloppent un instant, puis s’abattent et s’amoncellent sur la plaine.

J’écris ces notes sur mon genou ; le caisson en batterie, ouvert comme une armoire, m’offre pour dossier les culots de cuivre des obus. On fume, on attend.

Enfin, vers huit heures, le soleil se montre sur les crêtes ; puis, le brouillard, étendu comme une gaze impénétrable devant nous, s’étire. Les verdures apparaissent. La forêt retient un instant encore quelques lambeaux blancs entre les cimes de ses plus grands arbres. Rien ne bouge. La route, hier noire d’hommes et de chevaux, apparaît absolument blanche au milieu des prairies couvertes de rosée d’un vert éclatant sous ces premiers attouchements de la lumière.

À plat ventre dans l’herbe, en avant de nos pièces, sur une sorte de terrasse naturelle sous bois, entre les baliveaux dévalant la pente, nous scrutons la plaine. À la longue, tous les objets semblent bouger. Il faut se reprendre pour dissiper l’illusion.