Page:Lintier - Ma pièce, 1917.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas une âme. Portes et fenêtres sont closes. Quelques poules picorent sur un tas de fumier ; un cochon, que deux artilleurs égorgent dans une petite étable noire de purin, jette des cris aigus. Pourtant, au seuil d’une des dernières maisons, une mauvaise masure où brille dans l’ombre une armoire vernie, deux vieilles, extrêmement vieilles, nous regardent avec des yeux qu’on aperçoit à peine, tant leurs paupières ont de rides. Seuls leurs doigts bougent. Leurs regards fixes, en lames d’acier, nous importunent comme un reproche. Ah ! nous le connaissons, le remords poignant des retraites ! Vraiment une honte intime nous écrase à la traversée de ces villages que nous ne savons pas défendre, que nous abandonnons à la rage de l’ennemi. Les choses y prennent des visages d’humaine douleur. Les façades des demeures abandonnées ont des physionomies de souffrance. Rêverie, sans doute ! Imagination ! mais imagination poignante, car demain tout cela brûlera, et nous, d’un campement sur la colline, nous verrons les maisons et les récoltes flamber quand la nuit viendra.

Il paraît que les alliés sont vainqueurs dans le Nord et en Alsace. Les Bulletins des armées qu’on nous donne quelquefois, les Bulletins des communes le disent. Alors, comment laisse-t-on peser sur nous le reproche terrible des choses et des