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ment les chaumes, éventré par les obus, découvrant ses entrailles d’humus noir, a un peu de l’horreur d’un corps aux blessures béantes. Autour des points d’éclatement, des mottes ont volé, et, au bord du trou, la terre est levée en remblai circulaire. La mort peut tomber encore. Quelqu’un demande :

— Pourquoi n’avance-t-on pas plus vite ?… On va se faire bousiller.

Mais on sent que le fatalisme, qui est, je crois, le commencement du courage, nous a envahis presque tous. L’ennemi tire sans voir. Ses obus ressemblent aux coups de la fatalité tombant du ciel. Pourquoi ici plutôt que là ? Nous l’ignorons. Lui aussi l’ignore sûrement. Alors, à quoi bon se hâter ? La mort viendrait aussi bien à nous un peu plus loin. Pourquoi aller à droite ou à gauche ? Inutile, tout à fait inutile… Devant, nos officiers, botte à botte, chevauchent et causent.

Dans la tranchée où vient de s’abattre l’obus, un fantassin est resté, un seul. Il est étendu sur le ventre. Il s’était fait un lit de paille pour être mieux. Il a un trou dans le dos. Autour, le sang fait, sur le drap, un grand rond noir. Sous lui, la paille est rouge. Un autre éclat lui a ouvert la nuque ; son képi est tombé et son visage projeté en avant s’est enterré. En passant, tous nos regards vont là. Mais personne ne dit rien. Qu’est-ce qu’il