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choses s’atténue. Je vois, comme en rêve, les servants affalés sur les coffres, la tête ballante, les cavaliers vacillant à cheval et qu’on dirait ivres. J’entends encore un homme du 26e d’artillerie, assis sur le caisson, raconter comment les trois batteries, qui nous précédaient ce matin sur la route d’Ethe, ont été mitraillées et prises par l’ennemi, en colonne, et comment il a réussi, lui, à s’échapper à peu près seul, grâce au brouillard.

Dans la nuit, nos caissons, qui brinquebalent, font pour nos oreilles un bruit vague de canonnade. Une chambrière traîne. Il me semble entendre une mitrailleuse. Quelle obsession ! La colonne étend sur la campagne nocturne son roulement monotone, qu’aucun commandement, aucun bruit de voix ne vient rompre.

Après une très longue marche, vers minuit, nous nous retrouvons pour camper à Torgny. Ce soir-là, on ne se compte même pas. Dans une grange, près de la porte, je me laisse tomber, la face dans le foin, et il me semble, quand je m’endors, que je meurs.


Dimanche 23 août.


On nous a laissés dormir jusqu’à huit heures passées. Tout de suite nous menons les chevaux boire à une grande auge de pierre au milieu du