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que défendent des fantassins du 102e. Des armes, des effets jonchent toujours le chemin. La chaussée a été éventrée par l’artillerie et les convois. Les blessés, sur nos caissons qui les cahotent, ont des visages de crucifiés.

Je demande au gros clairon :

— Veux-tu qu’on fasse arrêter la voiture, si ça te secoue trop ?

— Non, pour tomber dans leurs pattes !

— Tout de même !

— Non, ça va, ça va.

Et il se mord les lèvres pour ne pas crier. Je suis très las. Mon crâne est à la fois lourd et sonore. Dormir, dormir, n’importe où.

À peine sortie du bois, la batterie fait halte, dans un champ où le blé est en gerbes, près d’un village qui s’appelle, dit-on, « la Malmaison ». Je me laisse tomber sur la paille. Si nous restons là, nous ne pourrons même pas dormir ; l’ennemi est trop près. Nous serons attaqués dans la nuit. Et je ne pense qu’à dormir, à aller assez loin pour pouvoir dormir. J’attends le commandement fatidique : « Dételez », qui va nous laisser dans ce champ pour combattre encore dans une heure. Peut-être tout de suite. Des ordres arrivent ; nous repartons. Nous traversons la Malmaison encombrée de troupes en désordre. La nuit vient. J’atteins aux limites extrêmes de la fatigue. Ma conscience des