Page:Lintier - Ma pièce, 1917.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par le torrent, des lambeaux de troupes achèvent d’encombrer le chemin : blessés, éclopés, hommes fourbus, sans fusil, sans sac, soldats égarés ; tous ceux-là avancent lentement. Il y en a qui font effort pour atteindre nos voitures et s’y accrocher. Ils se hissent sur les caissons ou se laissent traîner, pareils à des automates.

Tandis que la retraite des divisions d’infanterie se poursuit par la grande route, un chemin à droite, par une pente très dure, nous conduit au plateau. Le jour baisse. La masse des bois de Guéville, entre le soleil et nous, projette son ombre jusqu’aux flancs de la colline proche. Il n’y a guère ici que des traînards. Beaucoup de blessés sont au fossé. Ils se sont accordé un instant de repos avant de continuer la montée. Mais tous ne repartiront pas. On en voit dans l’herbe, dont le masque reflète déjà le visage creux de la mort. Les orbites sont profondes. Les yeux brillants de fièvre, grands ouverts et fixes, contemplent on ne sait quoi. Le clin des paupières est pesant et ralenti. De la sueur colle les cheveux aux tempes, zèbre, en coulant, les faces aux pommettes saillantes, au nez pincé, salies de poussière et de poudre. Presque aucun des blessés n’est pansé. Le sang a fait de grandes taches sombres sur les capotes, a éclaboussé le drap, a ruisselé. On n’entend pas une plainte. Deux hommes, sans sac ni