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reste debout, immobile, au milieu du champ.

Sifflements, explosions, coups de l’ennemi et coups d’une batterie voisine de 75, on ne reconnaît plus les bruits dans cet enfer sonore, de fer, de flammes et de fumée. Je sue. Mon corps trépide plutôt qu’il ne tremble. Le sang bouillonne dans ma tête, me bat les tempes ; une ceinture de fer m’étreint le ventre. Inconsciemment, comme un fou, je fredonne un refrain que nous chantions ces jours derniers au cantonnement, et qui me hante :

Trou là là, ça ne va guère,
Trou là là, ça ne va pas !

Je vais mourir dans ce trou. Quelque chose me frôle les reins… Je suis touché… Non, un éclat a déchiré ma culotte.

Une fumée noire, puante, enveloppe la batterie. Quelqu’un râle. Je me lève pour voir. J’aperçois, dans un brouillard sale, le maréchal des logis Thierry, étendu au bord des avoines, et les six servants qui l’entourent. L’obus a éclaté devant la volée de son canon. Le frein est ouvert. La pièce est inutilisable.

À genoux, côte à côte, le capitaine Bernard de Brisoult et le lieutenant Hély d’Oissel, la lorgnette aux yeux, fouillent l’horizon. Je les admire. À voir mes deux officiers, à voir le commandant qui, les bras croisés, paisiblement fait les cent pas derrière