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maîtres de leurs attelages. Les chevaux s’affolent, tirent en tous sens.

Hutin me dit en hochant la tête :

— Tu es vert, mon vieux !

Je lui réponds :

— Eh bien ! tu ne t’es pas regardé !…

Un obus, qui soulève une gerbe de terre en avant des attelages, blesse à la tête le conducteur de milieu du caisson. L’homme s’abat.

— En avant !

Près de la crête, nous prenons position au bord d’un champ d’avoine. Les avant-trains vont se dissimuler quelque part, vers Latour, dont le clocher à notre gauche jaillit de la vallée. Blottis derrière les blindages des caissons, derrière les boucliers, nous attendons l’ordre d’ouvrir le feu. Mais le capitaine, agenouillé dans les moissons, en avant de la batterie, la jumelle aux yeux, ne découvre rien. Il paraît que là-bas, sur les grands bois d’Ethe et d’Étalle qu’occupe l’ennemi, une brume épaisse flotte encore. Autour de nous, en arrière de nos pièces, sur nos têtes, sans répit, des obus explosifs, des shrapnells de tous calibres éclatent, couvrant de mitraille la position. Nous n’échapperons pas à la mort… Derrière le canon, il y a un petit fossé. Je me couche là, en attendant les ordres. Un grand cheval de selle, bai, dont le poitrail béant laisse couler un ruisseau rouge,