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s’abritent derrière les chevaux. On attend l’explosion. Une, deux, trois secondes : des heures. Je tends le dos ; je tremble. Je sens en moi trépider l’instinctif besoin de fuir. La bête se cabre devant la mort ! La foudre ! On dirait qu’elle est tombée à mes pieds. Dans l’air la mitraille passe avec un bruit furieux de vent.

Et voilà que la colonne s’arrête là, dans ce champ de pommes de terre, tellement retourné par la mitraille, qu’on a peine à trouver passage pour les voitures entre les trous qu’ont ouverts les obus.

Qu’attendons-nous ? Mettons nos pièces en batterie, au moins… Répondons, battons-nous !… Il me semble que, si nous écoutions claquer nos 75, l’angoisse de ces instants mortels se desserrerait. Ne nous laissons pas égorger… Battons-nous donc !… Et nous restons là, immobiles.

Des obus, qui semblent frôler nos voitures, me secouent des pieds à la tête, font trépider le blindage derrière lequel je m’abrite. Heureusement le terrain est très en pente, ils vont s’abattre plus loin ; je sue, j’ai peur… j’ai peur… Je sais bien pourtant que je ne fuirai pas, que je me laisserai tuer à ma place… Mais battons-nous donc !

On repart. La marche est difficile, à travers le champ éventré. Les conducteurs sont à peine