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82 LE VAISSEAU-FANTÔME

individus. Les Anciens, les Grecs surtout, ont révélé à l'humanité la loi suprême du grand art : ils procèdent, dit Gœthe, comme procède la nature, et leurs œuvres ont quelque chose d'éternel et de nécessaire comme les œuvres de la nature elle-même. A leur exemple, le poète moderne doit, lui aussi, se dépendre de soi-même, « laisser son œil être lumière », éviter la recherche de l'effet, refléter fidèlement l'univers, fuir la manière pour atteindre au style. — Ainsi pour Gœthe comme pour Wagner, mais pour des raisons entièrement différentes, le drame doit être conçu à l'imitation de la tragédie antique, mettre en scène des types très généraux et très simples, s'attacher non à reproduire la variété infinie et éternellement changeante des individus, mais à peindre les sentiments éternels de l'humanité. On a souvent remarqué que les drames de Gœthe tiennent parfois de l'opéra (i). Il n'est pas sans intérêt de constater, d'autre part, que le drame wagnérien « conçu dans l'esprit de la musique » traite des sujets romantiques par des procédés assez semblables à ceux dont usait Gœthe dans ses derniers drames. Ce n'est pas du premier coup, toutefois, que Wagner est arrivé à réaliser ce drame psychologique et humain dont nous avons analysé précédemment, en Tristan et Iseut, le type idéal et définitif. Vers 1841, au moment où il composait le Vaisseau-fantôme — à l'étude spéciale duquel nous revenons après cette digression sur les caractères généraux du drame musical — Wagner n'avait encore aucune théorie arrêtée sur le drame musical. Dans le choix du sujet comme dans la manière de le traiter, il se laissait guider uniquement par son instinct d'artiste ; et cet instinct était encore parfois incertain et vacillant. Aussi

(1) Voir p. ex. F. Vischer, Gœthes Faust, Stuttgart, 1875, p. 7.i ss.