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WAGNER ET LE ROMANTISME

prendre, Wagner a continue avec un succès éclatant la tradition romantique. Il dépasse les romantiques comme peintre de l'âme humaine, et par là il se rapproche peut-être davantage des classiques et en particulier de Gœthe. La plupart du temps, en effet, les romantiques, dans leurs tentatives pour faire revivre le passé germanique, n'ont guère réussi qu'à décrire des aventures extraordinaires, à évoquer devant notre imagination un décor pittoresque et curieux, mais non à nous montrer sous la cuirasse ou la cotte de mailles du chevalier ou du guerrier germain une âme semblable à l'âme moderne. Heine compare les contes de chevalerie de La Motte Fouqué à ces énormes tapisseries ouvragées de grosse laine qui par leur abon- dance de figures et la magnificence leurs de coloris frap- pent les yeux tout en laissant l'âme indifférente (i). Cette comparaison pourrait s'appliquer à nombre de productions de cette époque qui intéressent plus par le costume moyenâgeux que par l'étude des passions humaines. Une œuvre telle que le Merlin d'Immermann où il y a, comme dans le Faust de Gœthe ou dans les drames de Wagner, une action intérieure fortement conçue et une idée philosophique curieuse, constitue une exception dans la littérature romantique. D'ordinaire, l'action intérieure laisse à désirer chez les romantiques. Il est instructif à ce point de vue de comparer le Freischütz et Tannhauser qui, comme on l'a fait remarquer, traitent tous deux, au fond, le même sujet : la lutte du bien et du mal, de Dieu et de l'enfer (2). Tandis que dans Tannhauser la lutte se livre dans l'âme même du héros, qui est partagé entre la soif

(1) Wvrke, VI, p. 243. (2) G. Bellaigue, Revue des deux mondes 1er juin 1895, p. G99 ss.