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IL CONÇOIT UN NOUVEL IDEAL ARTISTIQUE 61

détresse, qui l'empêcha de s'aigrir au cours des longues épreuves par lesquelles il passa, qui lui permit de garder intactes, pendant ces années douloureuses et déprimantes, ses facultés d'artiste créateur. Il sentit qu'il était, lui aussi, malgré ses erreurs chèrement expiées, un de ces musiciens allemands dont il parlait avec une sympathie attendrie dans un article écrit à cette époque (1), un de ces convaincus pour qui l'art est un sacerdoce, qui aiment la musique en elle-même et pour les saintes ivresses qu'elle leur procure, parce qu'elle est pour eux un besoin intime et profond, la jouissance suprême de la vie, et non parce qu'ils la regardent comme un moyen de briller ou de faire leur chemin dans le monde. Il savait maintenant à n'en pas douter qu'il marchait vers un idéal artistique radicalement différent de cet Opéra italien ou français dont il méprisait les fausses grâces et la vaine pompe; et il commençait à entrevoir, par une intuition un peu confuse encore ce que pouvait être ce drame musical vers lequel il tendait de toutes les forces de son être. Dans le Pèlerinage chez Beethoven il met dans la bouche de Beethoven la profession de foi suivante qui n'est évidemment que l'expression de ses propres sentiments à lui : « Si je composais un opéra suivant mon sentiment, il mettrait en fuite le public, car il ne renfermerait ni airs, ni duos, ni trios, ni aucun de ces morceaux qu'on coud ensemble aujourd'hui tant bien que mal pour faire un opéra ; ce que je ferais, il n'y aurait ni chanteurs pour le chanter, ni public pour le comprendre. Tout le monde ne connaît qne le mensonge paré, la sottise brillante, l'ennui enjolivé. Celui qui voudrait composer un vrai drame musical serait tenu pour un fou, et le serait en effet, si,

(1) Ueber deutsches Musikwesen; Ges. Schr. /, 149, 98.