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DÉBUTS DE WAGNER A PARIS 55

pas attendre. Personne ne se donne même la peine de l'entendre car il n'a ni fortune ni renommée ; il use sa force et son énergie en stations interminables dans toutes les antichambres ; ses ressources s'épuisent ; il connaît la faim ; son chien même, le beau Terre-neuve, l'abandonne pour suivre un Anglais mélomane et canophile qui fait d'ailleurs le malheur de la pauvre bête en la forçant à as- sister à ses états musicaux sur le cor de chasse. Alors la folie s'abat sur lui et enténèbre son intelligence ; il rêve de composer la musique pour les représentations du Guignol des Champs-Elysées, il vague sans but à travers les rues, n'osant plus même stationner dans les antichambres, jusqu'au moment où, vaincu par la faim et la misère, il s'en va mourir dans une mansarde de Montmartre, confessant jusque dans son agonie sa foi inébranlable en Dieu, en Mozart, en Beethoven et en la vertu souveraine de la grande musique, qui remplit d'une joie infinie ceux qui lui ont voué un culte fidèle et désintéressé. Comme le héros de sa nouvelle, Wagner était débarqué un beau jour à Paris, pauvre d'argent mais riche d'espé- rances, avec sa femme Minna et un magnifique Terre- neuve répondant au nom de Robber. Plus heureux que son musicien allemand, il arrivait, du moins, muni de lettres de recommandation de son illustre et tout puissant compatriote Meyerbeer dont il avait fait la connaissance et la conquête à Boulogne-sur-Mer. Il eut même la bonne fortune d'être introduit et patronné dans le monde artistique parisien par Meyerbeer en personne qui vint à Paris, pour un court séjour, peu de temps après l'arrivée de Wagner. Aussi ses débuts furent-ils assez heureux ; il rencontra partout un accueil sinon très chaleureux du moins bienveillant et courtois ; et il put espérer, dans les premiers temps, qu'il arriverait promptement à soumettre ses