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INFLUENCE DE BEETHOVEN 33

à se convaincre que les choses ne pouvaient aller aussi vite. Mais il ne se découragea pas. Comme jadis, après avoir connu le drame grec et le drame de Shakespeare, il avait décidé qu'il serait poète, il décida, après avoir en- tendu les œuvres de Beethoven, qu'il serait musicien ; et il se mit à composer, sans rien dire à sa famille, une sonate, un quatuor et un grand air. Lorsqu'il se décida à avouer à ses parents sa nouvelle vocation, ils commencèrent, comme de juste, par la com- battre très vivement, craignant, non sans quelqu'apparence de raison, que cet enthousiasme subit pour la musique ne fût qu'un engouement passager et bien vite dissipé. Sa mère se décida cependant à lui faire donner des leçons par un musicien sérieux, Gottlieb Mûller. Mais le pauvre homme avait à faire à un élève bien bizarre. Wagner était à ce moment plongé jusqu'au cou dans la lecture de Hoff- mann, dont le mysticisme musical confinant à la folie l'avait fortement impressionné. Il avait dévoré ces pages étranges et presque délirantes des Phantasiestücke où Hoffmann raconte comment « les proportions numé- riques de la musique et même les règles mystérieuses du contrepoint éveillent en lui une horreur intime », où il évoque comme des personnages réels l'Accord fonda- mental et la Quinte « ces deux colosses, » et la Tierce « ce doux et tendre jeune homme », et où il dépeint son fantas- tique Kreisler menaçant de « se poignarder d'une Quinte augmentée ». Wagner à son tour eut des visions pendant lesquelles « la Note fondamentale, la Tierce et la Quinte lui apparaissaient en personne et lui révélaient leur sens mystique ». Son maître eut toutes les peines du monde à lui faire comprendre que ce qu'il prenait pour des puis- sances mystérieuses n'était pas autre chose que des inter- valles et des accords ; et le pauvre homme demeura per-