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de sa vigoureuse raison ; qu'enfin après un immense labeur intellectuel il prend définitivement conscience de ce qu'il est et de ce qu'il veut. Alors seulement il sent qu'il est affranchi de tout préjugé scolastique, émancipé à tout ja- mais de lois qui ne sont pas faites pour lui, qu'il peut être complètement « lui-même » sans crainte de se tromper. Et alors seulement, aussi, il goûte, en composant ses œu- vres, cette félicité supérieure dont jouit l'artiste lorsqu'il s'abandonne en toute indépendance à l'instinct créateur qui est en lui, et que l'œuvre jaillit librement, telle qu'il la pressent, sans effort, telle qu'elle devait être en vertu d'une nécessité immanente. Cette jouissance, Wagner affirme l'avoir connue dans toute sa plénitude en composant Tris- tan : « On peut, écrit-il, apprécier cet ouvrage d'après les lois les plus rigoureuses qui découlent de mes affirmations théoriques : non que je l'aie modelé sur mon système — car j'avais alors radicalement oublié toute théorie — mais parce qu'à ce moment enfin j'étais arrivé à me mou- voir avec la plus souveraine indépendance, dégagé de toute préocupation théorique, heureux de sentir, pendant la composition, combien mon essor dépassait les limites de mon système. » (i). Ce sentiment de joyeuse confiance, en soi était, il le savait bien, le fruit de ce prodigieux effort de réflexion, accompli quelques années auparavant, et qui lui avait donné la perception nette du but vers le- quel il tendait et que jusqu'alors il entrevoyait seulement d'une manière plus ou moins confuse. Sûr désormais de son instinct, dont sa raison avait pu contrôler les ten- dances et vérifier en quelque sorte le mécanisme, il lui était permis de se confier en toute sécurité aux inspirations de son génie créateur.