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l épuise et fait périr celui qui a laissé s'implanter chez lui cet hôte dangereux. Ainsi l'image particulière s'est trans- formée dans l'esprit de Gœthe en une idée générale, en un symbole que nous trouvons exprimé sous une forme ad- mirable dans l'élégie d'Amyntas. « Tout ce qui passe n'est que symbole », a-t-il dit dans son second Faust : et ce don mystérieux de concevoir à la fois le signe et l'idée, de voir d'un seul coup d'oeil l'objet réel et l'idée géné- rale dont il est le symbole constitue, selon lui, à pro- prement parler, le génie. — Il nous semble bien que Wagner a eu ce don mystérieux de l'Intuition, et que chez lui le poète ne peut et ne doit pas être séparé du penseur. Lorsqu'il étudiait la légende de Tristan et Iseut, il lui semblait voir en quelque sorte dans cette légende réelle et vivante la loi générale dont elle était l'expression et d'après laquelle l'amour, poussé à un certain degré d'exal- tation, se dépouille chez les natures d'élite de tout mélange d'égoïsme et conduit l'homme à souhaiter la mort, l'anéan- tissement de l'individu au sein de la nuit éternelle. De même, lorsqu'il considérait la légende de Parsifal, elle lui apparaissait comme le symbole de la rédemption de l'hu- manité par la pitié consciente. Comme Goethe, Wagner partait du cas particulier, de l'image colorée, plastique, vivante, mais à travers cette image, il distinguait la loi générale dont cette apparence éphémère lui paraissait être une expression particulière. Et lorsqu'il créait ses drames, il s'efforçait instinctivement, tout en donnant à son sujet la vie extérieure sensible et pittoresque qu'il comportait, de faire voir en même temps les causes pro- fondes, le sens intime des scènes qu'il déroulait sous les yeux du spectateur. Wagner n'est donc pas un poète allé- gorique qui part d'une idée abstraite et cherche ensuite à donner un corps à ses abstractions, à personnifier d'une