Page:Lichtenberger - Richard Wagner, poète et penseur, 1907.djvu/19

Cette page n’a pas encore été corrigée

convictions du moment. On lui a souvent fait un grief de ses tendances symboliques et philosophiques ; on lui a reproché de mêler maladroitement la spéculation à la poésie, d'interrompre une action pathetique par de froides tirades abstraites empruntées aux doctrines de Feuerbach ou de Schopenhauer, de semer seS drames de longs discours métaphysiques qui fatiguent et ennuient l'auditeur et dé- tournent son attention du sujet. Ceux qui raisonnent ainsi se condamnent, croyons-nous, non seulement à mécon- naître la valeur vraie de l'œuvre de Wagner, mais encore à ne pas goûter la poésie allemande et même, d'une manière plus générale, la poésie germanique dans ce qu'elle a peut- être de plus original : celte fusion de l'image vivante et de ridée, de la réalité visible et tangible avec la loi idéale qui explique le cas particulier, fusion que l'on trouve si souvent réalisée par exemple dans la poésie de Gœlhe, ou encore, d'une manière diflérente, mais à un degré éminent aussi, dans les drames d'Ibsen. Gœthe a fait la théorie de cette façon de concevoir les choses et qu'il nommait l'in- tuition. L'intuition telle qu'il la définit, consiste essen- tiellement à voir dans chaque image particulière l'idée générale qu'elle renferme. Un exemple fera mieux com- prendre cette définition abstraite : Gœthe voit un jour, près de Schaffousse un pommier entouré de lierre; et aussitôt cette image prend à ses yeux une valeur de plus en plus générale, il se représente le pommier enlacé, étouffé par la plante parasite qui s'attache au tronc par mille fibres invi- sibles, tire de lui sa nourriture et tarit peu à peu en lui les sources de la vie ; et cet arbre étouffé par la plante dont il est l'appui, lui apparaît tout à coup comme le symbole de l'homme à qui s'est attaché une femme ; comme le lierre, elle est flexible et caressante ; comme lui, elle a besoin d'alimenter sa vie à une autre vie; comme lui, elle étouffe,