Page:Lichtenberger - Richard Wagner, poète et penseur, 1907.djvu/13

Cette page n’a pas encore été corrigée

par l'intermédiaire de la raison. Les émotions des person- nages du drame se transforment en paroles qui, perçues par les spectateurs, se transforment de nouveau en émo- tions. Or entre l'émotion initiale et la parole qui en est le signe, il n'y a pas de lien nécessaire et naturel : la parole peut bien indiquer les causes d'une émotion, d'un plaisir, d'une douleur, ou en analyser les effets, ou encore pré- ciser les circonstances dans lesquelles cette émotion s*est produite ; mais elle est impuissante à exprimer, à rendre sensibles l'émotion, la douleur, le plaisir en eux-mêmes. La poésie ne transmet donc pas directement l'émotion initiale dans l'âme de l'auditeur; elle ne fait que suggérer une émotion analogue, grâce à la parole qui agit sur la raison et, de là, sur l'imagination. — Qu'est-ce, d'autre part, que la musique ? A cette question il n'est pas de réponse certaine ; le sens de la musique est un mystère inaccessible à la raison, et il serait parfaitement vain de vouloir dé- montrer qu'elle exprime quelque chose à qui prétendrait Ie contraire. Presque tout le monde a pourtant le senti- ment confus qu'il existe un lien étroit entre le monde des émotions et celui des sons, que la musique est capable d'éveiller en nous, par l'action directe des sens, des émo- tions très puissantes encore que très vagues. Wagner conclut de ce fait que la musique est précisément cette expression adéquate et immédiate de l'émotion, que la pa- role est impuissante à trouver. La poésie part du cœur et, par l'intermédiaire de la raison et de l'imagination, parle au cœur; la musique, elle, part du cœur et parle au cœur directement, sans autre intermédiaire que le sens de l'ouïe. Chacun de ces deux arts trouve donc dans l'autre son complément naturel. Le pur sentiment que la parole ne peut plus exprimer, tend à s'épancher au dehors à l'aide de a musique dont le langage pénétrant est merveilleuse-