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SYNTHESE DES DEUX INTERPRETATIONS

bonheur et des pessimistes qui abjurent la volonté de vivre. Tous ses drames reposent sur cette intuition déconcertante au premier abord pour la raison et la logique, mais dont le cœur sent instinctivement la justesse et la profondeur — de l'égale nécessité et de l'égale beauté de l'amour et du renoncement. En réalité, ces deux hypothèses, celle de l'unité et celle de l'évolution de la pensée de Wagner, ne me paraissent nullement inconciliables. Elles expriment probablement deux faces différentes de la vérité. Wagner a varié à coup sûr dans ses opinions philosophiques, politiques ou religieuses. Des événements extérieurs et accidentels — la lecture de Feuerbach, la Révolution de 1848, l'étude des doctrines de Schopenhauer, l'amitié du roi Louis de Bavière, le triomphe de l'œuvre de Bayreuth — ont eu sur ses idées une influence très réelle et ont déterminé sa pensée à suivre telle ou telle direction particulière, à adopter telles ou telles formules pour traduire ce qu'il sentait. Mais ces variations sont probablement plus apparentes que réelles : elles portent plutôt sur l'expression de la pensée de Wagner, que sur sa pensée elle-même. Aussi, tout en changeant sous la pression des circonstances, Wagner est-il probablement resté beaucoup plus identique à lui-même que ses théories ne semblent l'indiquer au premier abord. Le critique qui cherche à repenser l'évolution intellectuelle de Wagner doit donc s'efforcer de le comprendre tout à la fois dans sa multiplicité et dans son unité. Ainsi ferons-nous dans l'interprétation du cas particulier de Tannhäuser qui nous occupe pour l'instant. Tannhäuser, comme le Vaisseau-fantôme et Lohengrin, appartient à une période de la vie de Wagner où il était surtout frappé par les vices de la société contemporaine ; il souffrait profondément de se sentir en opposition absolue de goûts