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HYPOTHÈSE « ÉVOLUTIONMISTE » ET HYPOTHÈSE « UNITAIRE »

vant (i). Bornons-nous, pour l'instant, à exposer quelle est, dans l'une et dans l'autre supposition, l'interprétation qu'il faut donner à Tannhäuser. Si l'on croit à l'évolution historique de la pensée de Wagner, on sera tenté d'admettre qu'il a passé par une période où, peut-être par suite de l'influence des romantiques (qui, comme on sait, remirent à la mode le catholicisme et le mysticisme), il a incliné vers un christianisme vaguement ascétique et pessimiste. On remarquera que, jusque vers 1848, les croyances philosophiques ou religieuses de Wagner ne sont guère autre chose que les préjugés d'un homme éclairé qui accepte sans trop les approfondir les idées courantes de son siècle. Il croit, comme le musicien du Pèlerinage chez Beethoven, à Dieu, à Beethoven et à la vertu libératrice de la grande musique. Il se représente l'univers comme régi par un Dieu vivant et personnel avec lequel les hommes peuvent entrer en rapport par la prière. Sur la terre règne le péché ; la civilisation moderne est profondément corrompue et égoïste, incapable de réaliser le bien et de donner le bonheur à l'humanité. Mais les hommes doivent tendre de toutes leurs forces vers l'idéal, vers un idéal lointain de beauté et de pureté qu'ils ne réaliseront pas sur la terre mais qu'ils atteindront un jour dans un au delà mystique, après la mort, si en cette vie ils ont su abjurer tout désir cou- pable. Tannhäuser est, ainsi que Lohengrin, une pièce tout imprégnée d'esprit chrétien ou du moins déiste, et

(l)On peut citer comme représentants de l'hypothèse évolutionniste H.Din- ger, R.Wagners geistige EntwicKlung, Leipzig, 1892, ou en France, M. Hébert, Trois moments de la pensée de R. Wagner, Paris, 1894 et Le sentiment religieux dans l'œuvre de R. Wagner, Paris, 1895 ; M. Hébert, toutefois, se défend très expressément de méconnaître l'unité de la pensée de Wagner; V. Sentiment relig., p. VII s. Cf. Evolution sentimentale de R.Wagner, Paris, 1896, p. 6 ss. Comme représentant de l'hypothèse unitaire, nous citerons H. St. Chamberlain, R. Wagner, p. 131 ss. 271, etc.